La planification successorale du nouveau millénaire

L’ère de l’information suscite la conception continue de nouveaux appareils et de nouvelles applications numériques, et ces innovations technologiques engendrent de nouveaux types d’actifs. Les gens passent de plus en plus de temps sur Internet, et ce faisant, y laissent une empreinte financière. Selon un récent rapport de Deloitte, le Canadien moyen actuel est propriétaire d’actifs numériques d’une valeur de 1 000 $ à 2 000 $. D’ici 2020, il aura accumulé, de son vivant, des actifs numériques évalués à plus de 10 000 $. L’importance des actifs numériques est donc croissante, et pourtant ils sont rarement abordés dans les testaments des Canadiens. L’Institut Info-Patrimoine BMO affirme que 57 % des Canadiens n’ont pris aucune disposition testamentaire à l’égard de leurs actifs numériques.

Qu’entend-on par « actifs numériques » et « comptes numériques »?

Dans un article intitulé Digital Life After Death: The Next Level of Estate Planning and Estate Litigation, Kimberly Whaley définit un actif numérique comme un fichier dont une personne revendique la propriété. Il peut s’agir, par exemple, d’une photo, d’une feuille de calcul, d’un document Word, d’un gazouillis ou d’un billet de blogue.

Un compte numérique est utilisé pour accéder à un actif numérique, tout comme un compte de courrier électronique est utilisé pour accéder à un courriel. Selon Mme Whaley, il existe trois catégories de comptes numériques : les comptes contenant des renseignements sur des devises pouvant être converties en argent réel, les comptes contenant des renseignements sur des intérêts personnels ou commerciaux, et les comptes contenant des biens virtuels. Les comptes PayPal, les comptes de programme de fidélisation et les comptes de carte de crédit offrant des milles aériens ou des remises en argent sont des exemples de compte contenant des renseignements sur des devises pouvant être converties en argent réel. Les comptes de messagerie électronique et de médias sociaux sont des exemples de compte contenant des renseignements sur des intérêts personnels ou commerciaux. Les comptes Kindle et iTunes, contenant des chansons ou des livres numériques, sont des exemples de compte contenant des biens virtuels. Le propriétaire du compte peut utiliser son contenu sous licence, mais il n’est pas propriétaire de ce contenu.

Pourquoi est-il important d’inclure les actifs numériques dans un plan successoral?

À défaut d’être inclus dans le plan successoral, des actifs ayant une valeur sentimentale ou monétaire peuvent être perdus, et la gestion des comptes et des actifs numériques peut poser au liquidateur des défis juridiques complexes, voire insurmontables.

(A) Valeur sentimentale

Les courriels, les photos et les messages ont souvent une valeur sentimentale. Les gazouillis, la bibliothèque iTunes et les photos Facebook d’une personne sont les équivalents modernes d’un journal intime, d’une discothèque et d’un album photo. Les biens virtuels remplaçant de plus en plus couramment les biens physiques, il est de première importance qu’ils soient pris en compte dans la planification successorale.

(B) Valeur monétaire et commerciale

D’autres types d’actifs numériques ont souvent une valeur monétaire. Les blogues et les sites Web personnels, par exemple, peuvent générer des revenus. De nombreux jeux en ligne créent des « récompenses » pouvant être converties en argent réel. Les bitcoins sont des actifs numériques ayant une valeur monétaire. Le bitcoin est une monnaie numérique pouvant être générée et transférée. Selon Mme Whaley, la valeur monétaire des bitcoins en circulation en 2017 était de 40 milliards de dollars américains. Sans instructions explicites dans le testament de son propriétaire, la monnaie numérique risque de ne pas être réclamée et d’être vulnérable au piratage. Le compte de courrier électronique d’un propriétaire de petite entreprise lui sert souvent à effectuer des opérations commerciales ou à communiquer avec ses fournisseurs. Le décès du propriétaire risque donc d’entraver la gestion courante de l’entreprise s’il n’a pris aucune mesure pour la transmission de la propriété de ce compte de courrier électronique.

(C) Obstacles légaux

En l’absence de lois applicables, un liquidateur successoral peut être assujetti aux modalités d’accès aux services établies par le fournisseur du compte numérique servant à accéder à un actif numérique. Une convention d’accès aux services est un contrat passé entre le propriétaire d’un compte et le fournisseur du compte. À défaut d’instructions explicites dans un testament, il est tenu pour acquis que le défunt n’avait pas l’intention de transférer la propriété de son compte numérique ou d’en communiquer le contenu, et les règles varient d’un fournisseur à l’autre. Gmail, par exemple, exige pour le transfert d’un compte à un représentant légal une copie du certificat de décès du propriétaire du compte, une copie du courriel autorisant le représentant légal à demander l’accès au compte, et une ordonnance d’un tribunal. Facebook n’accorde en aucun cas un transfert de compte à un représentant légal, mais supprimera un compte sur demande écrite du plus proche parent du défunt. Les fournisseurs de comptes numériques se réservent souvent le droit de restreindre l’accès aux comptes par toute personne autre que leur propriétaire par crainte de contrevenir aux lois canadiennes en matière de protection de la vie privée, ces lois ayant été conçues pour protéger le droit à la vie privée des gens de leur vivant et après leur décès.

Stassen c. Facebook, une cause du Wisconsin, offre un parfait exemple de ce genre de situation :

En 2012, le fils du couple Stassen, âgé de 21 ans, s’est suicidé. Ses parents anéantis voulaient accéder aux comptes Facebook et Gmail de leur fils pour tenter de comprendre ce qui avait motivé son geste. Soucieuse de la confidentialité du compte, Facebook a refusé de divulguer tout renseignement, même après que les parents eurent obtenu d’un tribunal un document attestant qu’ils étaient les héritiers de la succession de leur fils.

Conclusion

En dépit de la grande valeur sentimentale et monétaire qu’ils représen­tent, les actifs numériques sont rarement inclus dans les testaments. Et il importe de bien comprendre la différence entre un actif numérique et un compte numérique, ce dernier pouvant bloquer l’accès à l’actif aux termes des modalités établies par le fournisseur. Des instructions testamentaires précises constituent le meilleur moyen de contourner ces obstacles légaux.

Tenir compte des actifs numériques dans le testament

Peu de lois existent actuellement pour autoriser l’accès aux actifs numériques par les représentants légaux, donc la meilleure façon de protéger les actifs numériques de vos clients est d’inciter ces derniers à inclure des directives précises dans leur testament. Ils devraient :

  1. Effectuer un inventaire de leurs actifs numériques et le tenir à jour.
  2. Nommer un représentant légal expressément autorisé à gérer leurs comptes numériques. Il peut s’agir du liquidateur testamentaire du client ou d’une autre personne. N’oubliez pas qu’une bonne planification successorale est constituée non seulement d’un testament, mais aussi de procurations pour soins personnels et pour les affaires financières (un « mandat de protection », au Québec).
  3. Préparer une liste de leurs actifs numériques protégée par un mot de passe, à l’intention du représentant légal.
  4. Fournir des instructions détaillées dans leur testament sur la distribution de leurs actifs numériques en faveur de leurs héritiers.

Bien que le gouvernement fédéral ait invité les provinces à adopter des lois régissant les actifs numériques, aucune ne l’a encore fait. Dans l’éventualité où une telle législation est promulguée, vos clients devront tenir compte de ses dispositions selon leur territoire de résidence, puisque celles-ci différeront sans doute d’une province à l’autre.